Terremer – Ursula K. Le Guin
A l’annonce du décès de Ursula K. Le Guin en 2018, j’étais sous le choc.
Pionnière de la fantasy, elle était célèbre pour les thèmes profondément humains qu’elle traitait dans ses romans et sa plume poétique.
Le cycle de Terremer, cycle de fantasy, est composé de cinq romans et d’un recueil de nouvelles publiés de 1964 à 2018. Il est considéré comme une de ses plus grandes œuvres.
Vous connaissez peut-être ce titre à travers le film d’animation japonais qui s’en est inspiré : Les contes de Terremer du studio Ghibli réalisé par Gorō Miyazaki, fils de Hayao Miyazaki. Cependant, il n’est pas vraiment fidèle à l’univers de Ursula K. Le Guin comme elle a su le dire élégamment : « Ce n’est pas mon livre. C’est votre film. C’est un bon film. »
Résumé (Le sorcier de Terremer, premier roman)
Il raconte des histoires se déroulant sur Terremer, un monde maritime constitué de nombreuses îles, où se côtoient dragons et sorciers. Dans un monde déjà distinctif par sa géographie, le principe sur lequel se repose la magie qui y règne en est encore plus étonnant : La règle des noms. À Terremer chaque chose, qu’elle soit matérielle ou immatérielle, possède un nom courant, ainsi qu’un nom dit « véritable » qui permet de révéler l’essence de ce qu’il désigne. Le connaître octroit un contrôle total sur la chose.
Dans ce monde où le merveilleux décline petit à petit, rattrapé par les erreurs et les conflits humains, on va dans un premier temps suivre les aventures de Ged. Un jeune gardien de chèvres sur l’île de Gont, choisi pour son talent inné en magie. Impatient de développer sa magie, il se rend à Roke, la plus grande école de sorcellerie de Terremer, et va devenir au terme d’une longue initiation, un des plus grands sorciers de Terremer. Mais… Ged comme tout être humain a une part sombre, il est arrogant et orgueilleux. Des vices qui provoqueront inéluctablement une erreur de sa part, une grave erreur qui bouleversera le restant de son existence.
Mon avis
La règle des noms, une magie basée sur le savoir
La magie de Terremer ne relève pas du simple sort que l’on apprend dans un grimoire. Non, ici, la magie, c’est la connaissance des noms. Chacun né avec un nom courant, et un nom véritable qui représente son essence. Connaître le nom véritable d’une chose, c’est en détenir le contrôle total. Et quelle que soit sa nature ; un objet, un humain, ou encore un dragon. Vous comprendrez donc que dans cet univers, les mots ont un pouvoir immense.
Ils représentent la faiblesse de chacun, comme ils peuvent servir de puissante démonstration de confiance et d’amour lorsqu’on décide de dévoiler son nom véritable.
Le pouvoir tient au savoir, à la connaissance de ce qui se tient derrière les choses, leur essence. Cette magie singulière et complexe renforce le thème de la découverte de ce roman. Lors de ces études à Roke, Ged et ses camarades vont devoir passer tout leur temps à étudier les noms, les langages, les mots… Toute cette labeur décrite par l’auteure semble démontrer l’importance de connaître le monde qui nous entoure dans toute sa profondeur. Mais également la responsabilité que l’on détient sur celui-ci ; connaître le nom des choses, c’est en détenir la responsabilité. Faire parti d’un monde, c’est aussi accepter d’en avoir une responsabilité.
Ainsi, la règle des noms à elle seule rend Le cycle de Terremer unique dans son genre.
L’évolution de Ged
Pendant son enfance, Ged plein d’ambition, décide de se rendre à l’école de Roke pour amasser le plus de connaissances possible et développer son pouvoir. Mais à peine arrivé, il se fait déjà un rival. Là-bas il ne vit que par la compétition, et ne comprend pas la notion de responsabilité qu’entraîne l’acquisition de pouvoir. Obsédé par le désir d’impressionner, il commettra une erreur qui fera basculer sa vie, et le changera à jamais. Un voyage initiatique est alors déclenché.
La rupture de son enfance transparait par des émotions qu’il n’avait jusque là jamais connu, la peur par exemple.
Et c’est ainsi que l’on suivra tout du long du récit l’évolution d’un sorcier qui pour réparer ses erreurs, devra confronter ses propres failles.
Ged à travers ses étapes de la vie cherchera à se comprendre lui-même, et nous fera ressentir tantôt de l’agacement, tantôt de la compassion… voir de l’admiration.
Le réalisme de ce protagoniste, miroir de notre société, apporte encore plus de profondeur au récit d’Ursula K. Le Guin. Une fois de plus, tout n’est pas seulement question de pouvoir et de magie, mais de quelque chose d’un peu plus subtil ; la connaissance de soi-même.
De la fantasy qui fait réfléchir…
Avec son style d’écriture compact et riche en images, Ursula K. Le Guin nous transporte dans un univers qui se démarque des autres romans de fantasy. Dans un monde pourtant peuplé de sorciers et de dragons, le principal conflit est interne, celui de Ged ; il représente la notion de balance, centrale pour Ursula K. Le Guin. Est-il bon de laisser son ego envoûté par la quête de pouvoir perturber l’équilibre cosmique d’un monde ? A travers son voyage, Ged assimilera douloureusement ces enjeux ; partir à la découverte du monde c’est accepter d’en respecter son équilibre, tout comme le nôtre, composé de bien et de mal.
Citations marquantes
« Ged, écoute-moi à présent. N’as-tu jamais réfléchi au fait que le danger accompagne le pouvoir comme l’ombre la lumière ? Cette magie n’est pas un jeu que nous pratiquons pour le plaisir ou pour la gloire. Pense bien à ceci : chaque mot, chaque geste de notre Art est prononcé et accompli soit pour le Bien, soit pour le Mal. Avant de parler ou d’agir, tu dois connaître le prix à payer ! »
Ogion, maître de Ged